Sport traditionnel. « Dans eune pais de Normaundie, eune choule était à gangni » *
14 octobre. Un dimanche comme un autre en Normandie.
Ensoleillé mais froid. Pourtant, sur un rectangle d’herbe grand comme un court
de tennis, cinq bonshommes s'agitent...
14
octobre. Un dimanche comme un autre en Normandie. Ensoleillé mais froid.
Pourtant, sur un rectangle d’herbe grand comme un court de tennis, cinq
bonshommes, en short et chaussettes montantes (un « Koué »),
s’agitent. Et, à la crosse (une « crossât »), à la main ou pied,
s’efforcent de faire passer une balle de cuir entre deux petits poteaux
verticaux (un « viquet »). Du hockey sur gazon ? Non. De la
choule, un jeu traditionnel normand vieux comme le monde. Au centre, celui qui
s’égosille, qui donne de la voix, c’est Nicolas de la Cotte, le président du
Beiex Choule Klub (B.C.K.). Son club est double Champion de Normandie.
« On a préféré rester caché » (J.-Ph.Joly)
Que l’on
joue encore à la choule encore aujourd’hui relève presque du miracle. C’est
qu’elle a plus d’un millénaire d’histoire dans la crosse. Débarquée en
Normandie en même temps que les drakkars des Vikings. Au Moyen-Âge, le chanoine
bayeusain, Robert Wace, y consacre un peu de sa poésie. A la Renaissance, le
Sieur de Gouverville noircit les pages de son journal du récit de parties
épiques entre villages ennemis du Haut-Cotentin ou du Pays Valognais. Sîtôt la
poule au pot avalée, la choule anime les dimanches après-midi du curé de
campagne, du gentilhomme comme du paysan. Résultat ; une image de jeu de
« bourrin » peu au goût de la Cour du Roi de France. Les interdictions
tombent. Les descentes de police sont monnaie courante. Qu’importe : pour
le cœur d’une Mathilde, le Normand défiera l’ordre établi. Jusqu’au début des
années quarante et le passage à l’heure allemande.
Et puis, fin
du premier quart-temps. La crosse s’enterre dans les greniers dans les greniers
et dans les mémoires. Nicolas de la Cotte. « Les Grandes Guerres ont
ravagé les principaux foyers de chouleurs. Après 1945, la Normandie aura mis
plus vingt ans à se reconstruire. Entre l’usine pour les femmes et le front
pour les hommes, les gens avaient d’autres soucis ». Considéré comme le
père de la culture normande 2.0 et président de plusieurs associations
consacrées à la spécialité, Jean-Philippe Joly veut donner une réponse plus
globale. « Les réglementations successives en matière de sécurité en
milieu scolaire, en matière de jeux d’argent ont favorisé l’essor de sports
plus « tendance ». En Normandie comme ailleurs, le sport de masse,
l’uniformisation des cultures liée à l’exode rural, au brassage des populations
entraînent la disparition des sports traditionnels régionaux »
diagnostique-t-il. « Faute à la proximité de Paris, à l’absence de
soutien politique, des idées reçues sur nos traditions se sont installées. Un
goût pour ce qui venait de l’extérieur s’est développé. Et, nous, on a manqué
d’enthousiasme, d’ambition régionale. On a préféré rester caché »
« Clairement, il y a une demande » (N.de la Cotte)
« A
Bayeux, vous n’avez, peut-être, qu’un club … mais quel club ! » dixit
Jean-Philippe Joly. Débuts en 2010. Une première Coupe de Normandie en 2011.
Une seconde en 2012. Le Beiex Choule Klub a grandi vite et bien. Un peu sur le
tas. Un peu par hasard aussi. « Il y a quatre ans, quelques amis et moi
faisions partis du TeCNor, le cercle de parlé normand de Jean-Philippe Joly
» raconte Nicolas de la Cotte. « En 2010, pour notre première Coupe de
Normandie, on a monté une petite équipe. On nous a expliqué les règles, prêté
le matériel, c’est comme ça qu’on a commencé »
Ici, on
parlera plus de jeu que de sport. Plus d’association que de club. Ne disposant
pas de l’agrément du Ministère, le BCK ne peut accueillir que des joueurs âgés
de seize ans ou plus, autorisation parentale à l’appui. Mais, si une petite
douzaine d’entre eux se chargent de remplir la galerie des trophées, d’autres
animent démonstrations et fêtes de village. Anecdotes. « D’ordinaire,
pour éviter la cohue, on fait du trois contre trois. Mais, parfois, on s’est
retrouvé à quatre-vingt sur le terrain. A la Grande Braderie de Conches, cinq
cents personnes sont venues jouer avec nous ».
« On revient à l’essence même du sport » (J.-Ph.
Joly)
Créée il y a
trois ans, la Fédération des Sports et Jeux Traditionnels Normands et Vikings
coordonne, aujourd’hui, plus de trois cents évènements par an. Une quinzaine de
clubs de choule-crosse sont en projet et un premier championnat à l’étude pour
2013. Alors, oui, on peut bien parler de renouveau. De retour en grâce. « Les
gens qui s’intéressent à leur culture savent ce qu’ils doivent à Jean-Philippe
Joly et au travail qu’il mène depuis une dizaine d’années » analyse Nicolas
de la Cotte. L’intéressé approfondit. « Le climat était difficile. Il a
fallu relever la tête, retrouver l’envie de sauver notre patrimoine »
raconte-t-il. « Ces premiers passionnés doivent être un exemple. Ils
nous apprennent, qu’ici aussi, on peut entreprendre en se basant sur notre
valeur intrinsèque. Et, qu’en partant de rien, on peut inscrire la tradition
dans la modernité ». Sport ludique, physique, aux règles élastiques, la
choule se veut tout public. « Une alternative au sport-business »
selon Jean-Philippe Joly. « La compétition n’est qu’un prétexte au
renforcement du lien social. En milieu rural, en milieu scolaire, un lien
trans-générationnel se crée. En se basant sur sa structure socio-historique, on
revient à l’essence même du sport »
* « Dans un pays de Normandie, une choule était
à gagner »